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Procès et preuve déloyale : retour sur le dernier revirement de la Cour de cassation

Longtemps, les pouvoirs publics ont tenté de distinguer le procès civil d'un duel au Far West où tous les coups étaient permis pour l’emporter. Les parties étaient ainsi tenues par une boussole morale : le principe essentiel de loyauté de la preuve. Lors d’un conflit prud’homal, salarié et employeur devaient avoir cette notion à l’esprit, puisqu’ils ne pouvaient se fonder sur des éléments obtenus frauduleusement, ce qui était pourtant parfois nécessaire ou tentant. Tout cela, c'était avant. Sous l’influence des règles européennes, la Cour de cassation a considéré que la loyauté de la preuve était un concept superflu. Les salariés sont-ils forcément perdants ?

Le procès prud’homal : pas de pitié mais pas de coup bas ?

Durant un procès civil, aucune preuve obtenue de manière déloyale ne pouvait être produite. La Cour de cassation avait sanctuarisé ce principe, qui pendant longtemps servait de boussole aux avocats et justiciables. Par preuve déloyale, on entendant une preuve obtenue par une fraude, une manœuvre ou par un stratagème. Appliquée au procès prud’homal, la règle interdisait à l’employeur d’utiliser pour sa défense des éléments obtenus à l’insu du salarié. Un employé licencié pour vol pouvait avoir été pris la main dans le sac par une caméra non déclarée, la vidéo aurait été écartée par les juges (pas loyalement vu, pas pris).

Le principe s’applique également aux salariés, notamment ceux qui enregistraient à leur insu leur employeur. Un fichier audio dans lequel le patron admettait avoir viré le salarié en raison de son engagement syndical n’aurait ainsi eu aucune valeur. Néanmoins, petite adaptation du principe, les salariés pouvaient récupérer (leurs employeurs utilisant plutôt le terme de vol éhonté) tout document de l’entreprise strictement nécessaires à leur défense, sans que cela ne puisse leur être reproché.

La conséquence directe du principe est que, si la preuve est écartée, les juges doivent faire comme si elle n’existe pas (« certes, votre employeur a admis qu’il vous a licencié parce que vous étiez enceinte, mais on doit faire comme si on n'avait rien entendu… »). Les parties n’ont donc aucun élément concret sur lequel appuyer leur défense.

Autre implication de la règle, les moyens de contrôle de l’activité des salariés doivent être portés à leur connaissance. On ne cache ainsi pas de micro ou de caméra pour vérifier que les salariés effectuent bien leur travail sans les prévenir.

Quelques employeurs rattrapés par la patrouille

  • La grande surface qui a discrètement braqué ses caméras sur les caisses pour vérifier l’absence de vol. Preuve irrecevable.
  • L’employeur qui embauchait des acteurs pour se faire passer pour des clients auprès des employés. Témoignage écarté par les juges.
  • Le patron qui est allé déjeuner dans un restaurant au sein duquel un de ses employés officiellement en arrêt maladie travaillait. Addition salée, entrée, plat, dessert et licenciement sans cause réelle et sérieuse.
  • Le directeur qui infiltre un compte Facebook sous une fausse identité. Preuve irrecevable et un ami en moins.

Le revirement : le droit au procès équitable face à la loyauté

On le sait, la France a pris des engagements internationaux, et les juridictions doivent veiller à leur application. Le principe du procès équitable, protégé au niveau européen, a ainsi fait évoluer le droit de la preuve et la manière d’obtenir celles-ci. 

La question posée par les juridictions européenne n’était pas dépourvue de pertinence : un procès est-il équitable si le seul moyen pour une partie d’obtenir la preuve nécessaire est déloyal et la rend donc irrecevable ?

Afin de permettre aux justiciables de se défendre dans toutes les situations, la jurisprudence européenne a finalement jugé qu’une preuve déloyale pouvait être produite lorsqu’elle est la seule disponible pour le justiciable. L’idée était ainsi toute simple : une noble cause pouvant justifier de se salir les mains, si vous n’avez pas le choix, vous pouvez utiliser une preuve obtenue en violation du principe de loyauté.

La Cour de cassation s’est donc approprié le principe, mais en précisant quelques garde-fous.

Les limites de la fourberie

Deux conditions sont posées par la Cour de cassation.

La première est que la preuve rapportée soit absolument nécessaire à l’exercice du droit invoqué par le justiciable. La Cour précise que cette condition est remplie lorsque la seule preuve disponible pour une partie suppose, pour son obtention, une atteinte aux droits de la partie adverse. Cela signifierait donc que la partie n’a pas d’autre possibilité pour obtenir une preuve.

Seconde condition, la production de la preuve ne doit pas porter une atteinte disproportionnée aux droits fondamentaux, notamment au droit à la vie privée. Il appartiendra ainsi aux juges d’apprécier si ce qui est demandé justifie le procédé utilisé par la partie.

Quelle portée pour les conflits du travail ?

La solution présente un intérêt certain pour les salariés. Il est toujours plus difficile de rapporter des éléments de preuve dans certaines situations, on pense notamment au harcèlement ou aux discriminations, qui reposent souvent sur des propos ou comportement oraux, difficiles à démontrer. Il pourra donc difficilement être reproché à un salarié d’enregistrer à son insu un supérieur ou un employeur.

Le délit d’enregistrement clandestin : l’article 226-1 du Code pénal interdit d’enregistrer une personne à son insu et sans son consentement. Même si une telle preuve peut être valable, l’employeur risquera de vous rétorquer qu’il s’agit d’une infraction pénale. Ce n’est pas faux. Mais il faudra cependant qu’il porte plainte, qu’un procureur surchargé accepte de diligenter des poursuites, qu’un juge considère que cela vaille une condamnation, au cours d’une audience où vous passerez un voleur à la tire et un revendeur de Marie-Jeanne. Si l’enregistrement était réellement nécessaire à votre défense, il y a peu de chance qu’une condamnation autre que symbolique ne soit prononcée.

En revanche, en cas d’abus, les juges risquent de faire preuve de moins de bienveillance. Evitons donc d’enregistrer le patron pour le faire chanter.

A noter, si votre employeur vous enregistre à votre insu, vous pourrez aussi porter plainte.

Les salariés disposent ainsi grâce à cette solution d’un nouveau moyen juridique pour faire accepter des preuves essentielles dans les dossiers compliqués.

Une porte ouverte pour les employeurs ?

Les employeurs risquent aussi de s’appuyer sur cette solution. Les arrêts rendus par la Cour de cassation concernaient d’ailleurs deux cas où l’entreprise tentaient de faire accepter par les juges des éléments de preuve à la validité douteuse, notamment un enregistrement où un salarié admettait ne pas respecter les consignes, et des propos issus d’un compte Facebook dont le propriétaire avait oublié de se déconnecter.

La Cour n’a pas précisé si ces preuves devaient ou non être acceptées. Cependant, il est à espérer que la condition voulant que les preuves déloyales soient absolument nécessaires à l’exercice du droit invoqué par le justiciable soit appliquée strictement.

Cela implique que, s’il existe d’autres possibilités de démontrer une prétention, la preuve déloyale ne pourrait être acceptée. L’employeur ne peut donc cacher une caméra pour surveiller ses salariés s’il peut mettre en place d’autres dispositifs de contrôle, portés à la connaissance du personnel. Au regard du nombre de moyens de contrôle à disposition de l’entreprise, le caractère nécessaire devrait donc en théorie être appliqué beaucoup plus strictement.

En revanche, certains cas risquent de justifier que l’employeur utilise un moyen clandestin lorsqu’il n’a aucun autre moyen de surveiller ses salariés. Typiquement, l’enregistrement d’un salarié pris en train d’insulter l’employeur ou de le menacer pourrait être recevable, la spontanéité d’un tel comportement rendant difficile le recours à un autre moyen de preuve.

Cour de cassation, 22 décembre 2023, n°20-20.648

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