Nanterre en février, Créteil en juillet, les tribunaux judiciaires rappellent régulièrement les entreprises à l’ordre lorsqu’elles déploient des outils utilisant l’IA en sautant la case CSE. Les élus peuvent-ils légitimement demander à être consultés, alors que l’intelligence artificielle semble être partout, et surtout que la technologie parait se banaliser. Le point après quelques contentieux récents.
L’IA a déjà son arrêt, mais c’était avant le choc technologique des années 2020. La Cour de cassation avait considéré en 2018 à propos du robot Watson (oui, celui des pubs) que l’introduction de celui-ci ne constituait pas un projet important modifiant les conditions de travail. En effet, il n’apportait que des modifications mineures au fonctionnement de l’entreprise, son rôle étant surtout d’aider les chargés de clientèle à traiter leur courrier, notamment par une aide au tri. Pas de révolution en vue dans les services.
Pourtant, l’article L. 2312-8 du Code du travail le dit clairement, le comité est consulté préalablement à l'introduction de nouvelles technologies, virgule, tout aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail.
Au regard de ces arguments contradictoires, il apparait que le recours à l’IA ne nécessite pas automatiquement de passer devant le CSE, il faut apprécier quel sera l’impact concret du logiciel mis en place sur les salariés.
Selon l’article L. 2312-8 du Code du travail, et surtout sur la jurisprudence récente de la Cour de cassation, la consultation du CSE n’est pas nécessaire en cas de changement de logiciel lorsque le nouveau n’a pas d’impact sur les conditions de travail. Dans un arrêt récent, le cas jugé concernait un nouveau logiciel ayant les mêmes fonctions que l’ancien, dont il ne constituait qu’une version plus évoluée. On pourrait donc en déduire que, s’il n’y a pas de réel changement technologique ni d’impact sur les conditions de travail, le CSE n’a pas à être consulté (Cass. soc., 27 nov. 2024, n°23-13.806). »
Beaucoup d’employeurs se réfugient d’ailleurs derrière ce principe à l’heure où tous les logiciels de bureau intègrent dans leurs mises à jour des outils dopés à l’IA (type Copilot de Microsoft).
Pour savoir si une IA va avoir un impact sur les conditions de travail, il faut analyser le secteur d’activité ou l’on se place, et les méthodes de travail de celui-ci.
A ce titre, le jugement rendu par le Tribunal Judiciaire de Créteil au mois de juillet est intéressant. Il concernait le domaine de la presse spécialisée, et l’introduction de logiciels d’IA générative, des logiciels capables de générer du texte et des images. Forcément, un tel outil va modifier la manière traditionnelle de travailler des journalistes et rédacteurs travaillant au sein des journaux concernés.
Concrètement, il faut se demander si, au regard de la nature de l’activité de l’entreprise, et de la manière de travailler des salariés, l’IA va changer le cœur de métier, ou simplement apporter une aide limitée au salarié (jurisprudence Watson).
Pour ce qui est du déploiement de l’IA générative dans la presse écrite, le Tribunal Judiciaire de Créteil a jugé qu’il n’était pas sérieusement contestable que l’intelligence artificielle est une technologie nouvelle dont le déploiement dans le secteur de la presse est susceptible d’affecter les conditions de travail de ses salariés. Forcément, un outil qui rédige tout seul risque de changer le quotidien de personnes dont c’est le métier. Une consultation préalable du CSE s’impose donc pour savoir quelles vont être les conséquences concrètes pour les salariés.
L’introduction de l’IA pose des questions sur la formation et de l’adaptation de ces salariés, qui vont devoir apprendre à maitriser la rédaction des fameux prompts, ces instructions données à l’IA.
N’oublions pas que l'employeur a l'obligation d'assurer l'adaptation du salarié à son poste de travail et de veiller au maintien de sa capacité à occuper un emploi pendant toute la durée de la relation de travail (principe que la Cour de cassation aime à rappeler, pour un exemple : arrêt du 21 avril 2017, n°15-28.640). Utiliser un nouveau logiciel basé sur l’IA implique donc de former les salariés pour qu’ils restent employables, et le CSE doit y veiller. Un argument qui fait le lien avec l’impact sur les conditions de travail.
Il n’y a pas que la question des conséquences sur les conditions de travail qui justifie la consultation du CSE. L’article L. 2312-38 du Code du travail impose une consultation du CSE avant l’installation de tout nouveau moyen ou technique permettant un contrôle de l’activité des salariés doit être précédée d’une consultation du CSE.
Certains logiciels ont pour objet d’organiser un suivi plus efficace des salariés et de leur activité. Ils sont ainsi conçus pour évaluer de manière plus fine les performances des collaborateurs, leurs déplacement, leur organisation, et optimiser in fine le fonctionnement de l’entreprise. Les secteurs du transport et de la logistique y ont notamment recours. Outre leur impact sur la vie privée des salariés, ces logiciels analysent, orientent, et donc contrôlent l’activité des salariés, ce qui ne peut se faire sans que le CSE ne soit consulté.
Une question qui méritera également de se poser à l’avenir, et que le CSE mérite de se poser, est que l’IA apprend des salariés. En effet, les logiciels apprennent de leurs interactions, ce qui implique que tout ce que les salariés diront à l’IA sera conservé. La consultation du comité se justifie juste pour savoir ce que la machine fait de données qui reflètent la manière de penser, de réfléchir et de travailler des salariés (sans oublier la question des créations des salariés, absorbées par l’IA).
Logiciel contrôlant l’activité ou simple logiciel de gestion ? L’article L. 2312-38 du Code du travail distingue les traitements automatisés de gestion du personnel et sur toute modification de ceux-ci, qui ne nécessitent qu’une simple information du CSE, des logiciels permettant un contrôle de l’activité, devant faire l’objet d’une consultation préalable. En lisant ce texte, la mise en œuvre d’un logiciel RH, qui n’est pas utilisé par les salariés, ne nécessite qu’une information. Tout l’enjeu est donc de savoir s’il permet ou non de contrôler l’activité des salariés. |
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