Alors que les sorties ciné de l’été ne jurent que par les blockbusters, c’est une suite qui est la bienvenue. La loi DDADUE 2, pour Loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne 2, est venue élargir le champ de l’action de groupe, facilitant, on l’espère, les actions collectives de salariés face à leurs employeurs. Après un premier volet qui avait transposé en droit français les règles relatives à l’acquisition de congés payés par les salariés absents, la suite va-t-elle surpasser l’originale ?
Tout seul on y va pas, ensemble on saute le pas
L’action de groupe se définit comme action en justice exercée « lorsque plusieurs personnes placées dans une situation similaire subissent un dommage causé par une même personne, ayant pour cause commune un manquement de même nature à ses obligations légales ou contractuelles ». Elle a été introduite par la loi, dite « Hamon », du 17 mars 2014 dans les domaines du droit de la consommation et de la concurrence, puis étendue par la loi de modernisation de la Justice au XXI siècle du 18 novembre 2016 aux domaines de la santé, de l’environnement et du droit du travail.
Toutefois, en droit du travail, cette action était jusqu’alors limitée à deux domaines : les discriminations et la protection des données personnelles.
La révolution de la loi dite « DDADUE 2 » du 30 avril 2025 tient au champ d’application de l’action de groupe. En effet, l’article 16 de la loi supprime toutes les restrictions au champ matériel de l’action de groupe.
Le champ d'application de l'action de groupe est désormais étendu à tout "manquement" de l'employeur à ses obligations légales et/ou contractuelles
Définition de l’action de groupe matière sociale : action en justice exercée par une organisation syndicale représentative pour le compte de plusieurs salariés victimes de dommages de même nature résultant d’un même manquement (ou d’un manquement de même nature) de l’employeur à ses obligations légales ou contractuelles. |
L’action de groupe peut ainsi permettre de faciliter les actions en justice pour les salariés, notamment pour ceux ayant subi un manquement dont le montant ne justifie pas trois ans de procédure devant le Conseil de prud’hommes. On peut ainsi imaginer des actions de groupes menées lorsque l’employeur supprime une prime collective, oublie de remettre les tickets restaurants, ou encore change unilatéralement les conditions de versement des parts variables. Dans tous ces cas, les salariés font face à un dilemme entre la lourdeur d’une procédure individuelle, et l’impact du manquement de leur employeur. En face, les entreprises font parfois des calculs machiavéliques : supprimer une prime de 300 euros par salariés, à l’échelle d’un groupe, peut permettre de belles économies, tout en sachant que peu de collaborateurs iront aux prud’hommes.
Un nom rigolo Habituellement, les noms de loi sont plutôt pompeux. On se souvient ainsi de la Loi relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels (ou loi El Khomri), ou de la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Dans d’autres cas, les noms relèvent plus de la méthode Coué, comme la loi "Climat et Résilience" du 22 août 2021 (qui a ajouté à un E à la BDES !), qui a suivi la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, ou encore la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi (qui a facilité notamment le recours au PSE…). C’est dire que la loi DDADUE apporte une fraicheur bienvenue au milieu de toute cette solennité. |
L’action de groupe suppose tout d’abord de réunir plusieurs personnes, placées dans une situation similaire, résultant d’un même l’employeur à ses obligations légales ou contractuelles.
Elles doivent avoir subi un dommage causé par une même personne (on s’en doutera, leur employeur) et résulter d’un manquement de même nature de cette personne à ses obligations légales ou contractuelles. La loi précise que les victimes doivent être « placées dans une situation similaire », ce qui ne veut pas dire que le dommage est identique (le montant du préjudice subi différera d’un salarié à l’autre).
L’action de groupe peut être exercée en vue :
En principe, l’action de groupe est exercée par une association agrée (association de consommateurs, de défense de l’environnement, de lutte contre les discriminations…). En droit du travail, l’action de groupe peut être exercée par les organisations syndicales représentatives au niveau de l’entreprise, de la branche ou national interprofessionnel.
Préalablement à la saisine du juge, l’organisation syndicale doit demander à l’employeur, par tout moyen conférant date certaine, de faire cesser le manquement au Code du travail allégué.
Dans un délai d’un mois, l’employeur doit informer le CSE et les organisations syndicales représentatives de l’entreprise de cette demande.
A la demande du CSE ou d’une organisation syndicale représentative, l’employeur doit engager une discussion sur les mesures permettant de faire cesser le manquement.
L’action de groupe peut être engagée à l’issue d’un délai de 6 mois à compter :
La procédure sera menée devant le Tribunal Judiciaire.
Il faut distinguer entre l’action en cessation de manquement et l’action en réparation des préjudices, bien que les deux puissent être intentées simultanément.
Faire cesser un manquement
Typiquement, si l'employeur a cessé de verser les remboursements de frais à ses salariés, l'action de groupe peut lui imposer de cesser ce manquement et de reprendre les versements.
Le syndicat n’est pas tenu de démontrer un préjudice pour les membres du groupe, ni l’intention ou la négligence de l’employeur. S’il constate l’existence d’un manquement le juge « enjoint au défendeur [l’employeur] de cesser ou de faire cesser ledit manquement et de prendre, dans un délai qu'il fixe, toutes les mesures utiles à cette fin, au besoin avec l'aide d'un tiers qu'il désigne ».
Obtenir la réparation des préjudices
Ce cas constitue l'hypothèse de la réparation d'une faute passée. Par exemple, l'employeur n'a pas versé la rémunération variable des salariés sur une année, puis a repris les années suivantes. L'action de groupe peut permettre d'obtenir une réparation pour les manquements passés.
Deux étapes doivent être suvies dans ce cas :
La question : qu’est-ce qu’un préjudice ? Quand on ouvre le dictionnaire, le préjudice se définit comme une atteinte causée aux droits, aux intérêts d'une personne. Cependant, un manquement de l’employeur ne cause pas forcément un préjudice aux salariés, la Cour de cassation rappelant ainsi qu’un préjudice doit être démontré. Par exemple, le fait de ne pas permettre à un salarié de bénéficier de ses congés sur une année ne constitue pas en soi un préjudice, les congés non pris étant reportés l’année suivante (arrêt du 11 mars 2025, 23-16.415). |
Le syndicat défendant les salariés présentera au juge des cas individuels au soutien de ses demandes. Le juge statuera alors sur la responsabilité de l’employeur.
Si l’employeur est reconnu responsable, le juge :
Une fois que ce jugement est rendu, une seconde étape commence, avec la mise en œuvre du jugement et réparation des préjudices. Cette étape commence par des mesures de publicité.
Le jugement qui reconnaît la responsabilité de l’employeur ordonne, à la charge de ce dernier, les mesures de publicité adaptées pour informer de cette décision les personnes susceptibles d’avoir subi un dommage causé par le fait générateur constaté. La décision sera ainsi diffusée, pour que les salariés victimes puissent se faire connaitre et adhérer au groupe.
L’adhésion au groupe se fait dans les délais et conditions fixées par le jugement statuant sur la responsabilité.
Deux procédures sont prévues :
Le principe est celui de la réparation individuelle des préjudices. Cependant, une exception est prévue. A la demande du demandeur et si la nature des préjudices le permet, le juge peut ordonner une procédure négociée entre le syndicale et l’employeur : la procédure collective de liquidation des préjudices.
Selon la loi, l’employeur déclaré responsable procède, dans le délai fixé par le jugement sur la responsabilité à « l'indemnisation individuelle des préjudices résultant du fait générateur de responsabilité reconnu et subis par les personnes remplissant les critères de rattachement au groupe et ayant adhéré à celui-ci ». Chaque salarié doit donc disposer d’une indemnisation personnalisée, conforme à leur préjudice individuel.
Les salariés dont la demande de réparation n’a pas été satisfaite disposent d’un recours. Ils peuvent saisir le juge ayant statué sur la responsabilité […] aux fins de réparation de leur préjudice individuel ». Le jugement doit prévoir les modalités leur permettant de saisir le Tribunal de leur cas individuel.
Cette procédure existait déjà sous l’empire de la loi de 2016 mais n’était pas ouverte aux actions de groupe exercées en matière de droit du travail. Elle procède par une négociation entre l’organisation syndicale et l’employeur sur l'indemnisation des préjudices subis par chacune des catégories de personnes constituant le groupe. Si le juge a fait droit à la demande du syndicat de mettre en œuvre une procédure collective de liquidation des préjudices, il « habilite le demandeur [le syndicat] à négocier avec le défendeur [l’employeur] l'indemnisation des préjudices subis par chacune des catégories de personnes constituant le groupe » dans les conditions qu’il précise.
En pratique, le syndicat et l’employeur négocient une indemnisation forfaitaire, qui sera la même pour tous les salariés. Les salariés pourront ensuite aller réclamer auprès de l’employeur le versement du montant négocié.
A noter, si le juge constate que « les intérêts des parties et des membres du groupe lui paraissent insuffisamment préservés », il refuse d’homologuer l’accord et peut renvoyer à la négociation pour une période de 2 mois.
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